Théodora Psychoyou

A Modern Thought for a New Music Theory: Rameau and the Authority of the ‘Anciens’

Rares sont les ouvrages dont on peut soutenir qu’ils marquent un véritable changement de paradigme, et le Traité de l’harmonie de Rameau s’est imposé comme l’un de ceux-là. Il a marqué l’histoire de la musique et de sa théorie parce qu’il propose un nouveau modèle pour la compréhension du phénomène musical (dans son organisation première et pour ce qu’il est discours). Premier opus d’un auteur alors peu connu, et bien antérieur aux premiers ouvrages lyriques, le texte de 1722 est suivi d’un grand nombre d’ouvrages théoriques dans lesquels Rameau tente des approfondissements, des nouvelles lectures de son paradigme, des mises en pratique sur des répertoires (telles ses analyses de Lully), et des réponses aux critiques de ses contradicteurs. Ce Traité est, en outre, l’un des objets les plus commentés par la littérature musicale et musicologique. La présente communication en propose une lecture nouvelle, en réinscrivant le Traité dans son historicité, en tentant notamment de faire abstraction de sa postérité, et en se concentrant sur ses antécédents que nous tracerons à travers les sources explicitement citées ainsi que dans les filiations qui s’y dessinent, et que nous confronterons à l’analyse des stratégies discursives de son auteur. Rameau cite assez peu de sources pour un ouvrage d’une ampleur si conséquente : onze auteurs sont mentionnés, seulement deux – Zarlino et Descartes – reviennent plus d’une fois, un ensemble d’autorités sur lesquelles nous nous interrogerons. Par ailleurs, Rameau se pense en Moderne, et nous proposons de mettre concrètement cette idée en perspective avec la vision du progrès défendue dans les académies scientifiques contemporaines. Dans le même temps, l’empirisme du pédagogue rejoint le pragmatisme astucieux qu’il partage avec les auteurs de nouvelles propositions du début du 18e siècle (telle la règle de l’octave). Si la codification scientifique puisée dans les travaux d’acoustique menée au sein de l’Académie royale des Sciences vient au secours de l’élaboration de la théorie harmonique de Rameau dans ses traités suivants, l’intuition de la basse fondamentale en tant qu’ ”unique boussole de l’oreille”, objective, fait figure, en 1722, d’une conséquence logique de la tradition intellectuelle qui le précède. En d’autres termes, ce que nous tenterons d’évaluer, dans l’articulation complexe entre l’ “avant” et l’ “après” 1722, c’est ce que les nouveautés du Traité de l’harmonie doivent à leurs antécédents (n’en déplaise au Moderne).