Au-delà des notes : prémisses d’une théorie de l’analyse
Le schéma production/objet/réception proposé par Jean
Molino et Jean-Jacques Nattiez a ouvert plusieurs voies à l’analyse. On peut
aller de l’interne à l’externe,
c’est-à-dire dégager des configurations remarquables dans l’objet (partition,
objet sonore résultant d’une exécution ou d’une improvisation) et rechercher
ensuite de quelles conduites de production elles peuvent être la trace et
quelles conduites de réception elles permettent de prévoir. C’est le trajet
qu’a le plus souvent suivi l’analyse de la musique écrite. Mais le trajet
inverse, de l’externe vers l’interne, se développe, et pour une part s’impose.
1. La première
tâche est de délimiter l’objet que
l’on entend analyser. C’est en général l’étude des pratiques sociales qui
permet de définir les contours de l’objet que l’on souhaite analyser (ce qui
en fait partie, ce qu’on exclut). C’est souvent considéré comme évident s’il
s’agit d’une partition, ça l’est moins pour les manuscrits anciens, encore
moins pour les musiques non-écrites, de tradition orale ou électroacoustiques,
ou populaires, qu’on doit d’abord
transcrire. Que transcrire? On ne peut passer sous silence, cependant,
que même une partition est “informée” par une “enquête externe” implicite. On
sait par exemple que la simple lecture
d’une partition baroque doit tenir compte d’informations qu’on trouve dans les
traités d’époque, ce qui est une forme d’enquête externe. Quant à l’analyse
d’une exécution sonore, que doit-elle inclure (que veut-on qu’elle inclue)?
Les choix des interprètes, mais aussi de ceux qui produisent le “son” final :
facteur d’instruments, preneur de son éventuellement?
2. Une fois les contours de l’objet établis, il reste à
trouver quelles formes prend l’objet
et quel sens il acquiert dans les
conduites humaines qui le “construisent” - généralement, inventer, jouer,
écouter- donc ce qui est pertinent dans l’objet pour décrire ou expliquer le
rapport objet/sujet.
On peut dégager de ces réflexions les prémisses d’une
théorie de l’analyse, dans laquelle l’analyse des configurations de notes,
quand il y en a, n’est qu’un moment. L’analyse de l’externe, ce qu’on projette
sur l’objet pour établir les pertinences, se développe actuellement dans de nombreuses
réunions scientifiques: analyse des processus de création, de
l’interprétation, des gestes de l’interprète, du rapport au corps, bien sûr de
la psychologie de l’écoute musicale. Ces recherches élargissent le champ de la
musicologie et de l’analyse. |